Témoignages

Deux témoignages qui illustrent cette expertise, cette capacité à lucidement analyser la situation par celles et ceux qui la vivent :

Témoignage de P. B

Je m’appelle P. B. , je suis né il y a 65 ans ici à Paris. Et je vis aujourd’hui en EPHAD, à Marseille.

Je veux ici témoigner de mon parcours, avec ce qu’il a de singulier mais aussi d’exemplaire. C’est un parcours fait de rencontres, de pertes, de rue, de galères, de défonces et d’addictions aussi, mais c’est d’abord un parcours de vie, la mienne, que j’ai parfois choisie et parfois subie, voire les deux en même temps .

Sans tout vous raconter de ma vie, je peux dire que j’ai toujours été inconstant :

j’ai été marin, j’ai pigé pour Libé, j’ai créé avec d’autres une boite de Jazz à Paris, j’ai fait mille boulots que chaque fois je plaquais plus vite.. J‘ai aussi aimé, j’ai quitté et j’ai recommencé…

Et puis pour des raisons qu’il est pas nécessaire d’expliquer ici, j’ai perdu le fil, lâché du lest, ca s’est fait presque en douceur bizarrement, quand j’y repense avec le recul, mais avec plein de heurts quand même, des moments très rudes, des deuils et des blessures, comme pour chacun qui se sent perdre pied, en emportant tout avec. Tout ça pour finir en foyer et puis, quand on m’a estimé plus en état d’y être, j’ai fini là où je me trouve aujourd’hui, dans un EPHAD.

J’ai donc toujours été inconstant donc, sauf pour une chose : la consommation d’alcool et de drogues.

Alors là, j’y ai mis une application incroyable. Une énergie de tous les instants, et ça même bien avant de vivre la rue et le reste. Je m’y suis mis tôt, avec beaucoup d’énergie.

J’ai consommé de la cocaïne, de l’Héroïne, du cannabis, du LSD, Tout ce qui pouvait dans mon existence me rendre gai, ou grand, ou fort ou drôle, ou beau… Et puis de l’alcool aussi par-dessus, toujours.

Ça peut paraître bête de dire ça aujourd’hui que je suis tout abîmé, en mauvaise santé mais ça m’a aidé à tenir debout.

Bête ou drôle de dire ça alors que j’y ai perdu famille, boulot, et surtout aujourd’hui la santé…

Quel inventaire : troubles respiratoires sévères, escarres, cancer en cours de traitement, troubles visuels, attente d’une opération de la hanche. Et le diabète qui m’a fait perdre un certain nombre de doigts de pieds.

Aujourd’hui avec l’âge, La sagesse mais en fait surtout avec mon incapacité à mener des parcours de combattant pour me fournir des produits, je ne consomme plus que de l’alcool. Même dans mon état, je cherche l’ivresse, parce que la modération, la tempérance me sont inimaginables. L’ivresse parce que ca rend la vie plus belle. « L’ivresse c’est un soir qui qui ne se soucie pas du matin » ….

Pour l’alcool, j’ai fait déjà 6 sevrages programmés mais aussi des dizaines sans le choisir avec les multiples hospitalisations, les Garde-A-Vue, les séjours en prison et aussi les sevrages que je me suis fait tout seul, suite à des promesses faites à moi-même ou à ma famille.

Et puis j’ai lâché prise, j’ai abandonné tout projet de santé, puisque je continuais de consommer et que c’était pas compatible. J’avais plus aucun suivi de médecine générale, pas de suivi psy, et c’était la rupture avec compagne et enfants.

Mes consommations d’alcool m’ont valu de me faire virer de tous les lieux d’hébergement, je me suis échappé de l’hôpital et mon alcool est devenu une façon de dire merde à tous ces gens qui voulaient me dire qui et comment je devais être.

Aujourd’hui je suis dans un lieu dont je sais bien que je sortirai plus. Et ce qui fait que j’y reste, c’est la gentillesse des personnes qui me prennent comme je suis. Et qui acceptent que je les envoie balader quand elles me reprochent mes alcoolisations.

Pour finir, je sais que l’alcool m’a beaucoup fait souffrir, qu’il aura réduit ma vie, qu’il aura fait souffrir mes proches, surtout. Mais c’est le compagnon de ma vie et même s’il m’aura tué… il m’aura aussi fait vivre.

Je suis un éternel addict : bouffe, drogues, alcool, amour, et bien d’autres choses, et c’est depuis que j’ai arrêté d’essayer de cesser de l’être que je vais mieux.

Je sors d’un an d’hospitalisation continue, et aujourd‘hui tout ce que je demande c’est qu’on me fiche la paix…

C’est cette double relation qui doit être entendue, c’est en tenant compte de ces deux aspects qu’on aidera mieux les gens.

Enfin, je voulais aussi dire que pour l’alcool mais aussi pour le reste, il faudrait que l’on arrête de parfois nous considérer comme des irresponsables, des enfants et qu’on décide à notre place, au prétexte qu’on ne saurait pas boire.

Moi et d’autres, on a nos moments de faiblesse, mais on mène aussi nos combats, à notre façon, et c’est là-dessus qu’on a surtout besoin d’aide et de soutien

PB est mort le 25 août 2017.

Témoignage de N.M.

1- Mes usages :

Dans le cadre, d’une consommation dite normale ou festive (repas, soirée, pot…), je dirais que je bois comme tout le monde, voire un peu plus… Généralement, je suis la dernière à partir. Mais, je ne considère pas cette consommation-là comme problématique. Bien que parfois, je peux me mettre dans des états « extrêmes » et faire n’importe quoi, injurier des gens, me laisser tripoter, tomber en dansant… Ces moments-là sont peu fréquents, il m’est difficile de les comptabiliser. Il faut que je sois invitée…

En revanche, quand je bois dans des moments de crise, c’est tout autre chose. Je ne bois dans ces cas-là jamais, jamais à l’extérieur. La fréquence évolue : les années précédentes, c’était une grosse crise par trimestre voire semestre. Cette année écoulée, c’est plutôt une grosse crise par mois. Ce que j’entends par crise : un sentiment de mal être qui grossit, grossit et que je ne parviens pas à désamorcer. La seule issue possible est de l’endormir ou de le fuir en me mettant minable et pour cela, il n’y a pas de limite quant à la quantité… 2 bouteilles de vin, et quand c’est pas assez une autre ou du porto. Ces grosses crises se manifestent par un profond désarroi qui me met dans une situation de grande vulnérabilité psychologique. Généralement ma fille est « sauvée » en allant chez quelqu’un de ma famille ou une amie . Mais, elle assiste quand même au début de la crise qui peut durer quelques jours. Je me mets en maladie, je m’isole, je ne réponds à personne, je n’appelle personne… Et j’attends que la crise passe et elle passe. A l’issue d’une telle crise, je me sens affreusement pitoyable, j’ai la haine de moi. J’ai mal à l’âme.

2- Les bénéfices de mes consommations:

Tout d’abord, une légèreté et l’impression de me libérer de tous les soucis, toutes mes inquiétudes et peurs. Une sorte de réconciliation avec moi-même, avec mon image, je me trouve belle et plutôt intelligente. Je peux être très drôle, excitée… J’ai aussi l’impression d’être « extra lucide », d’avoir tout compris, le sens de la vie… Quand je suis seule, je me parle à moi-même comme si nous étions deux et j’aime ces discussions. Et enfin, dernier bénéfice et quel bénéfice, l’alcool pour moi est un excellent somnifère. Je m’écroule et m’endort enfin.

3- Effets négatifs et incidences :

Au fur et à mesure de la consommation (quand je bois seule mais parfois en soirée, mais c’est rare)… l’alcool devient mauvais, très mauvais. Je sombre dans une sorte de « je-vais-régler-mes-comptes », et je deviens haineuse, en colère contre les autres, contre ma famille, et plus particulièrement ma mère… Je n’en démords pas, je suis convaincue d’être victime et je veux me venger. Puis je pleure car je suis seule. Puis, je ne me souviens de rien… Je découvre des bleus et des « bobos » : marques d’une chute, voire de plusieurs chutes. Et là, c’est le cycle infernal : honte de moi, haine de moi, culpabilité. Grande tristesse et détresse, du coup soit je rebois, sinon, j’essaie de remonter.

Les incidences sont nombreuses : absentéisme, isolement qui provoque un éloignement des amis qui provoque un plus grand isolement et un sentiment de solitude et de désœuvrement. L’image que j’ai de moi est horrible, je me déteste mais je ne suis pas suicidaire. Douleurs dans le corps, la tête, le ventre, parfois les jambes qui me semblent trop faibles pour pouvoir me porter.